L’éco-anxiété et le Covid-19

Le Covid-19 et l’éco-anxiété sont des symptômes d’une maladie bien plus grave, et aussi sources d’espoir.

Depuis 6 ans le terme « Eco-Anxiety » est entré dans le vocabulaire des psychologues anglophones pour signifier la peur et le stress liés au changement climatique. L’Association Psychologique Américaine (APA) la définit comme la peur continue de la mort environnementale1 et nous alerte sur la croissance de cette nouvelle maladie mentale, surtout au sein de notre jeunesse.

Je parle plus de l’éco-anxiété elle-même dans un article dédié. Cette peur tout à fait naturelle est provoquée par la conscience de la menace sur la vie terrestre symbolisée par le changement climatique. Elle peut être accompagnée de sentiments de désespoir, d’impuissance, de colère et de solitude. Nous pouvons aussi sentir de la culpabilité d’avoir trahi la Terre et nos valeurs, et de la honte d’être incapables d’agir efficacement. Tous les ingrédients sont réunis pour être traumatisé, ou au moins faire une bonne déprime !

Et je l’ai testée, cette déprime. Ayant une conscience environnementale depuis mon enfance, j’évitais le gaspillage des ressources, mais je prenais quand même l’avion et j’avais une grosse voiture. Je suivais de près les recherches autour du changement climatique et la destruction de la biodiversité. Bien que les théories d’effondrement me semblaient plausibles, je ne les croyais pas. En fait, j’étais toujours optimiste, pensant que le monde se réveillerait à temps pour trouver des solutions.

Optimisme est un mot gentil pour le déni. Dans mon cas, c’est l’édifice de déni qui s’est effondré, et avec lui, une partie de mon identité, me laissant vulnérable et impuissant. Ma vie et mes projets avaient perdu leur sens, et mon travail – qui à l’époque était loin d’être écologique – était devenu un fardeau. Je ne voyais que des limitations. Il m’a fallu du temps pour me rendre compte de ce que j’étais en train d’expérimenter.

Est-ce que mon éco-anxiété est une maladie mentale comme suggère l’APA ? Je trouve l’idée dangereuse pour trois raisons. D’abord, cette anxiété est un signal d’alarme naturel face à une situation traumatique et il serait temps qu’on arrête de parler de maladie mentale dans ce cas. Après tout, la terre a besoin de notre éco-anxiété !

Ensuite, le vrai problème n’était pas ma prise de conscience, mais le déni que j’ai entretenu jusque-là. C’est, au bout du compte, un comportement autodestructeur. En considérant le déni comme le problème, nous pouvons nous intéresser à son origine. Le déni est une manière de se dissocier d’une expérience traumatique. Mais avant de déclarer que la plupart des gens sur la planète sont en dissociation et donc sont des malades mentaux, nous pouvons plutôt explorer la nature du traumatisme qui a provoqué leur déni et essayer de le guérir. Les pistes ne manquent pas.

Et troisièmement, si l’éco-anxiété est une maladie créée par le changement climatique, ben génial, c’est donc la faute du climat ! Du coup, c’est le climat qui est la menace et moi la victime. Re-bonjour le déni car ce retournement de cause à effet masque la réalité : c’est la Terre qui est la victime et c’est nous la menace à sa santé. Le changement climatique, comme mon éco-anxiété, n’est qu’un symptôme de notre abus de la Terre. Si maladie mentale il y a, c’est que nous nous pensons séparés et supérieurs à elle.2

Et le Covid-19 dans tout ça ? Nous sommes en train de faire la même inversion : si c’est le virus qui est l’ennemi nous pouvons oublier qui est la vraie menace à notre survie. Encore une fois, le virus n’est qu’un symptôme d’un problème que nous avons créé en détruisant la biodiversité de la Terre. La peur que nous sentons face au virus renforce l’idée que nous devons combattre la nature, plutôt que l’aider.

Mais il y a une grande différence. Avec le Covid-19, bien que nous ayons essayé de nier sa dangerosité au départ, ça n’a pas marché longtemps. La « covid-anxiété » est devenu virale, et en quelques semaines cette peur a aligné la volonté de toute la planète. Même les français se sont montrés solidaires en choisissant d’obéir aux ordres de confinement – en grognant bien sûr !

Cette merveilleuse coopération me donne espoir. Elle montre ce qui est possible quand nous alignons notre intention. Elle augmente notre conscience d’être vulnérables et interdépendants. J’espère que notre expérience collective de covid-anxiété augmentera la propagation d’éco-anxiété, qui devient une réponse normale à quelque chose de bien plus dangereux qu’un virus : l’humanité industrialisée.3


Références :

1 – American Psychological Association, 2017, Mental Health and our Changing Climate: Impacts, Implications, and Guidance : https://www.apa.org/news/press/releases/2017/03/mental-health-climate.pdf

2 – Zhiwa Woodbury, 2019, Climate Trauma: Toward a New Taxonomy of Trauma : https://www.academia.edu/38305979/CLIMATE_TRAUMA_Towards_a_New_Taxonomy_of_Traumatology

3 – Joanna Macy et Molly Young Brown, 2008, Editions Le Souffle d’Or, Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre, https://www.souffledor.fr/ecopsychologie/1917-ecopsychologie-pratique-et-rituels-pour-la-terre-9782840586319.html

Éco-anxiété – késako ?

Cet article explore l’éco-anxiété et comment y faire face.

L’éco-anxiété est la peur et le désespoir provoqués par la conscience des effets du changement climatique, de la pollution, la destruction de la biodiversité et de l’épuisement des ressources de la planète. Certains psychologues provoquent de la controverse en la considérant comme une maladie mentale (voir l’article L’éco-anxiété et le Covid-19). L’anxiété peut devenir une angoisse forte au fur et à mesure que la peur de la disparition de l’espèce humaine devient une certitude.

Cette peur est tout à fait naturelle face aux changements de vie qui nous attendent, et face à la vraie menace qui plane sur la vie terrestre. Les frayeurs ne manquent pas en ce moment entre les feux de brousse, les pandémies, les tempêtes, la mer qui monte et les scénarios d’effondrement. Les adultes peuvent imaginer perdre tout ce qu’ils ont construit dans leur vie dans un cauchemar de souffrance humaine. Les jeunes ressentent qu’ils n’ont pas d’avenir et expriment leur colère aux générations précédentes.

Il est naturel de se sentir impuissant et seul dans un monde où nos leaders et la majorité des gens ne se sentent pas concernés par l’avenir de la terre, et où les solutions radicales nécessaires semblent impossibles. Ajoutons un peu de culpabilité d’y avoir participé, et la honte d’être incapable d’agir efficacement. La situation a tout ce qu’il faut pour nous traumatiser, et réveiller nos traumatismes passés.

Cette conscience des enjeux écologiques est dure à porter. Elle demande de remettre en question comment nous vivons, et comment nous en sommes arrivés là. En même temps, il est difficile de changer notre impact écologique car nous sommes imbriqués dans des systèmes de dépendances : le travail, l’école, les transports, la chaîne alimentaire, etc. Il n’y a pas de chemin clair à suivre ; chaque jour amène des nouvelles solutions qui sont parfois contradictoires.

L’éco-anxiété est le plus souvent associée à la dépression et à tous les comportements qui soulagent temporairement la détresse (en gros, toutes les addictions et comportements compulsifs). Elle serait responsable de nombreux suicides.

Par contre, l’éco-anxiété peut inspirer des actions individuelles et communautaires, donner un sens à la vie et engendrer de la solidarité. Greta Thunberg est un exemple emblématique de quelqu’un qui a surmonté sa dépression en passant à l’action.

Comment savoir si j’ai l’éco-anxiété ?

Nous pouvons nous sentir en mauvaise forme et démotivés pendant longtemps, sans être conscients qu’il y a une anxiété derrière. Si vous vous sentez plus triste que d’habitude, moins aventurier, moins sociable ou moins créatif, posez-vous la question « comment je ressens l’avenir » ? D’autres personnes vont être plutôt agacées et sentir la rancœur et la frustration. Derrière, il peut y avoir le sentiment d’être perdu ou submergé, et que la vie n’a pas de sens.

Se souvenir du moment où ce malaise a commencé peut vous aider à comprendre ce qui se passe. Pour moi, c’était la lecture d’une étude de tous les scénarios d’effondrement proposés par différents scientifiques du monde qui a déclenché une démotivation totale pour tous mes projets.

Quoi faire si j’attrape l’éco-anxiété ?

L’éco-anxiété est un signal d’alarme qui dit : « vous ne pouvez pas continuer comme ça ! » Elle marque le début d’une transition difficile qui demande de faire le deuil de votre ancienne manière d’être et d’en construire une nouvelle. Comme tout ce qui secoue notre sens d’identité, elle nous met en face de notre vulnérabilité, et ce n’est pas confortable. Voici quelques astuces pour vous aider à passer ce cap et trouver un nouveau chemin :

  • Déjà sachez que l’anxiété dans ce contexte est une réaction naturelle et utile, et non pas un dysfonctionnement ou une maladie. Loin d’en avoir honte, vous pouvez être fier d’être conscient du dilemme de la terre.
  • Je répète : ce que vous vivez n’est pas facile. Acceptez que vous ayez ces sentiments inconfortables, essayez de les accueillir et ayez de la compassion pour vous-même.
  • Prenez soin de vous : faites-vous du bien en conscience. Si ça veut dire boire un grand coup de rouge et regarder une série, allez-y ! Mais faites-le avec l’intention claire de remonter votre moral. Sans cette intention vous pouvez sombrer dans un cycle de fuite qui crée la honte qu’il faut fuir, etc. Ne négligez pas le massage, les bains de pieds, et tout autre soin du corps. Faites-vous plaisir !
  • Mangez frais/équilibré et faites de l’exercice, de préférence en pleine nature. L’alimentation saine et l’exercice sont souvent les premières choses que nous abandonnons en temps de stress, et pourtant ils sont notre meilleur remède à l’anxiété et à la dépression.
  • Connectez-vous à la nature régulièrement. Soyez attentif à tous vos sens quand vous êtes avec elle.
  • Faites attention au sentiment de culpabilité. D’abord vous n’êtes pas seul responsable pour la situation de la Terre. La culpabilité que nous ressentons d’y avoir participé est un message disant qu’il faut admettre notre part de responsabilité et changer notre manière de faire. Une fois que vous avez pris ce message à cœur, lâchez la culpabilité.
  • Donc, prenez la responsabilité pour vos choix maintenant, en toute conscience des enjeux écologiques. Attention, vous ne pouvez pas être parfait, donc merci de simplement être « assez ».
  • Adoptez des gestes écologiques dans votre quotidien. Aucun n’est trop petit.
  • Faites le bilan de vos valeurs. Quels sont vos valeurs les plus importantes ? Laissez-vous guider par elles.
  • Rejoignez une ou des communautés autour de vous qui partagent vos valeurs. Si vous êtes très isolé, il en existe énormément en ligne. Vous n’êtes pas seul !
  • Si vous n’avez pas une pratique spirituelle, maintenant serait un bon moment d’essayer la méditation. Il y a beaucoup de pistes sur internet, et l’appli Petit Bambou est populaire.
  • Si vous continuez de vous sentir anxieux et perdu, trouvez-vous un thérapeute qui est sensible à l’existence de l’éco-anxiété. Avec un accompagnement bienveillant, vous allez pouvoir créer de l’espace autour de vos émotions et trouver du sens. Voir Comment choisir un thérapeute pour plus d’information sur cette démarche.

Références :

Coralie Lemke, Sciences et Avenir, 2019, L’éco-anxiété ou le trouble mental causé par la peur du changement climatique : https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/l-eco-anxiete-ou-la-detresse-due-au-changement-climatique_132187

Joanna Macy et Molly Young Brown, 2008, Editions Le Souffle d’Or, Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre, https://www.souffledor.fr/ecopsychologie/1917-ecopsychologie-pratique-et-rituels-pour-la-terre-9782840586319.html

Jason Plautz, Washinton Post, 2020, The Environmental Burden of Generation Z : https://www.washingtonpost.com/magazine/2020/02/03/eco-anxiety-is-overwhelming-kids-wheres-line-between-education-alarmism/?arc404=true

American Psychological Association, 2017, Mental Health and our Changing Climate: Impacts, Implications, and Guidance : https://www.apa.org/news/press/releases/2017/03/mental-health-climate.pdf